Hernan Oliva, ce nom ne vous dira peut-être rien, et c’est justement pour cela que nous tenons à y remédier. Car, ce grand violoniste qui devrait avoir sa place dans toutes les mémoires, n’est connu que d'un public très restreint et quelques rares spécialistes du jazz argentin.
Bien plus tristement encore, au cours des dernières années de sa vie, il a été confronté à cet oubli et au dénuement auquel il conduit, bien qu’il ait joué merveilleusement de son violon jusqu’à son dernier souffle.
Guillermo Hernán Oliva
Violoniste, Compositeur
(4 juillet 1913, Valparaiso, Chili - 17 juin 1988, Buenos Aires, Argentine)
Guillermo Hernán Oliva, est né à Valparaiso, au Chili, le 4 juillet 1913 dans une famille qui ne comptait pas de musicien. Son père était agent de change, et sa mère œuvrait à la maison. C’est elle qui, aimant beaucoup la musique, incita son fils à l’étudier. Il commença donc le violon à l’âge de 8 ans et se montra rapidement très doué.
Il a dit de lui-même “Ma vie est très simple et l’on peut la résumer ainsi : moi, le violon et le violoniste.” Et en parlant de son enfance “Ma mère Laura était une femme éduquée à l'ancienne et s'occupait des tâches de la maison. Aníbal, mon père, était agent de change et amateur d’ânes (aux paris de courses de chevaux). La vocation, elle m'est venue de ma maman qui aimait la musique. Le premier jouet que j'ai eu a été un violon “chiquitito ” (Trad : tout petit), je suppose que c’est là que tout a commencé. Je me rappelle que je l'ai sauvé d'un incendie quand notre maison a brûlé”.
A l’adolescence, c’est en écoutant Joe Venuti qu’il ressent quelle sera sa voie et décide de se dédier au jazz. En 1927, il fait ses débuts au Chili, en jouant dans l’orchestre de musique populaire d’Ernesto Lavagnino. En 1935, il part pour l’Argentine. A Mendoza, il propose ses services en tant qu’interprète de jazz à la station de radio CUYO LV10 qui l’embauche. Cependant, on lui demandera de jouer du tango. Il effectue sa première brillante performance sur le titre “Alma de bohemio” puis sur d’autres thèmes si merveilleusement interprétés que cela aura un grand impact dans son avenir car, bien qu’il se dédie au Jazz, il sera aussi hautement considéré pour son excellence dans le tango. Il travaille pendant quelques mois avec l’orchestre de la radio, puis il part pour Buenos Aires où Luis Lavagnino, frère d'Ernesto, lui a obtenu un travail comme accompagnateur de Betty Caruso et de Fanny Loy, sur la Radio Belgrano. Le 15 septembre, il devient membre de l’orchestre de René Cóspito, avec lequel il travaillera cinq ans (jusqu’en 1940).
En 1940, il travaille avec le pianiste Enrique “Mono” Villegas et son orchestre (avec David Washington à la trompette et l’anglais Phillips au saxo) dans la boite La Chaumière. Une collaboration dont il gardera un excellent souvenir : “Pour moi, ce fut une école. Si l’on n’apprend pas avec Villegas, alors, on ne peut rien apprendre de plus. ”
L’année suivante, il rejoint l’orchestre du guitariste, chanteur et danseur, Oscar Aleman, avec lequel la collaboration durera plusieurs années et produira plusieurs enregistrements. Cependant, l’expérience se terminera sur une mauvaise note en raison de désaccords musicaux et financiers, comme Hernan le racontera par la suite : “Avec Oscar Aleman, l’histoire s’est mal terminée. Je suis resté un temps dans l’orchestre, mais je ne l’ai plus supporté. Il empochait 6 mille pesos et nous 400. Ce n’était pas possible. Nous en sommes venus aux mains, lorsqu’un soir à Punta del Este (en Uruguay), il a dit au public qu’il était le plus génial de l’orchestre.” La séparation fut définitive.
En 1944, il travaille avec les Cotton Pickers de Ahmed Ratip, puis avec deux de ses membres, le batteur Tino Alberti et le pianiste José Finkel qui formeront le “Jazz Casino” immortalisé dans un album sur lequel on peut entendre le violon d’Hernan s’envoler allègrement sur plusieurs titres. Ils débuteront leurs représentations en 1951 au club Villa Crespo avec Lorna Warren au chant.
En 1958, Hernan s’embarque sur un bateau pour aller visiter New York, aventure qu’il détaille ainsi : “J’aurais bien aimé aller plus souvent aux Etats Unis, mais pas y vivre. Les nord-américains vivent pour eux-mêmes, c’est une autre chose, une autre vie. Je préfère cela, c’est logique.”
De sa vie privée, on sait juste qu’il fit la connaissance de son épouse Sara à un carnaval du club Atlético Independiente et qu’ils eurent trois enfants. De lui-même et sur sa vie de musicien, il explique modestement : “J’ai toujours gagné ma vie en jouant du violon. Ma vie économique n’a pas été très bonne, que peut-on y faire ? Pour moi la musique représente une échappatoire. J’aimerais parvenir à jouer très bien du violon, mais j’en suis loin. Le violon requiert une pratique constante parce que les gens espèrent que l'on se trompe et je ne vais pas leur donner ce plaisir. Ma plus grande stimulation quand je joue, c’est lorsque les gens m’écoutent et qu’ils ne parlent pas. Quand je joue, je ne pense à rien ni à personne, je pense que les notes doivent sortir dans les airs avec des idées nouvelles. Un thème se développe comme un poisson ou un poussin : il faut l'alimenter d'une forme ou d’une autre jusqu'à ce qu’il mûrisse.”
C’est un fait qu’Hernan Oliva ne faisait qu’un avec son violon, l’opinion de tous ceux qui ont eu la chance de le voir jouer, c’est qu’il pouvait jouer de tout avec une facilité déconcertante et exceller dans chaque style. D’aucun le considèrent comme partie intégrante de l’âme du tango, en particulier pour son travail en duo avec Mito García au piano gravé sur l’album “Nieblas del Riachuelo”. Néanmoins, il se considérait lui-même comme étant né pour le jazz : “Mais quoi qu’il en soit je ne me sens pas identifié dans le tango. On ne peut avoir deux passions à la fois. Je suis musicien de jazz et au jazz j’ai consacré ma vie et j’essaye d’en jouer le mieux possible.”
Dans les années 70, il monte son propre quintet de jazz qui rassemblait Eduardo Ravera (1ère guitare), Chachi Zaragoza (guitare rythmique), Gustavo Masellis (guitare rythmique), Raul Barrientos (contrebasse), ensemble qui produira plusieurs albums qui donnent un large aperçu de la dimension du violon d’Hernan Oliva : “Quinteto de Hernán Oliva”, “El paso del tigre”, “Me vuelves loco”, “El violín del jazz” et “El mundo espera la salida del sol”. Disques qui, en parcourant le monde, ne manquent pas d’attirer l’attention sur ce violoniste hors normes, jusqu’au Japon, et en Hollande où l’on dira de lui qu’il est le meilleur violoniste de jazz au monde.
Si les disques lui valent beaucoup d’éloges, une notoriété et une reconnaissance internationales pour un véritable talent, cela n’empêcha cependant pas Hernan Oliva de sombrer dans la nuit de l’oubli et d'affronter des temps difficiles : “Je sors tôt pour visiter les bars, pour demander aux patrons s’il y aura du travail le soir. Je cherche le travail moi-même et cela m’aide à gagner un peso de plus. Tous les jours, c’est la même chose. Le drame majeur de ma vie, ce n’est pas l’argent, mais le manque de travail. Avec du travail, on a de l’argent, logiquement… Mais, dans ce pays, en Argentine, il n’y a pas de véritable reconnaissance, pour personne.”
Et déjà, personne ne le reconnaît plus. Une fois de plus, Hernán est sorti pour trouver l'espérance de chaque rue. Après chaque représentation dans les bars, "on passe le chapeau" et il recueille le gain du jour. Il allait d’un bar à l’autre, parce que là où il avait joué, ils ne le laissaient pas revenir de crainte qu’il ne puisse continuer de jouer. Mais quand il revenait, il jouait toujours encore mieux.
A l'aube du 17 juin 1988, dans le quartier Palermo de Buenos Aires, on retrouva au bord d’un trottoir le corps sans vie du violoniste qui allait avoir 75 ans, tenant toujours son violon fortement serré dans ses bras.
Sur le lecteur vidéo, vous pourrez voir le seul extrait filmé que nous ayons retrouvé où l’on peut voir jouer Hernan Oliva au cours d’une représentation avec Oscar Aleman.
Les extraits suivants sont des extraits audio :
Hernan Oliva & Oscar Aleman – Film El ídolo del Tango – 1949 / Extrait audio concert live Oscar Aleman, Hernan Oliva & Group / Cotton Pickers de Ahmed Ratip – Album Jazz Casino: Titina Isabel; El Jazz me Entristece / Hernan Oliva Quintet: El Paso del Tigre; All of Me; Minor Swing / Duo Hernan Oliva & Mito García: Maria; Amurado / Et autres titres d’Hernan Oliva y su Quinteto…
Crédit photos Hernan Oliva : Wikimedia comons